Il était une fois une femme, qui brillait doucement, paisiblement, comme une étoile : la nuit. Elle brillait la journée, également, mais la journée, les Hommes ne levaient pas un oeil vers le ciel, focalisés qu’ils étaient à faire avancer leurs jambes tout devant, à la conquête de nouveaux trésors étincelants, qu’ils avaient hâte de faire briller dans leur musée, à côté des autres merveilles qu’ils avaient déjà privatisées, pour eux.

Les Hommes cherchaient, avançaient, traquaient, puis le soir, ils rangeaient leurs lances, pour sortir à nouveau leur sourire. La fille-étoile aimait ces moments où l’essentiel se partageait dans le décor de la simplicité. Les montgolfières dans les cœurs des Hommes transportaient tout le monde en balade, et chaque rire collectif laissait place à quelques secondes magiques de silence, qui permettaient de contempler, subjugué, de la hauteur de ces moments de partage, les paysages émotionnels majestueux que savait si bien parfois nous réserver la vie.

A l’unisson, les cœurs alors battaient, les rires se prenaient par l’épaule et les yeux se remerciaient. La fille-étoile souriait devant ces spectacles d’harmonie, où chaque personne souhaitait briller doucement, naturellement, sans chercher à être la silhouette systématiquement qui se démarquait dans la lumière blanche de projecteurs géants.

Ces moments d’unité, d’apaisante harmonie, étaient malheureusement rares, dans les souvenirs de la fille-étoile. Fréquemment, les gens ne lui parlaient pas de « nous », mais surtout de « eux ». Ils se précipitaient pour lui décrire les derniers trésors qu’ils venaient d’identifier, même d’ajouter récemment à leur musée, sans se rendre compte, que pour la fille-étoile, le plus grand trésor à admirer était les sourires qu’ils pouvaient mutuellement se sculpter, à grands coups de simplicité, de douceur, d’élégance, de légèreté et de blagues.

La fille-étoile recherchait inlassablement des gens à l’écoute, qu’elle trouvait dans des ambiances silencieuses, où ne régnait dans les ciels ou les crânes plus que du noir. Dans ces décors de crépuscule, où les murs étaient souvent aussi blancs que les esprits étaient eux encombrés, dans ces espaces où les points d’interrogation s’abattaient soudainement sur des cabanes de certitudes bricolées en bois, dans ces décors de fin du monde où le salut ne semblait plus pouvoir venir que d’en face ou d’en haut, dans ces moments où la seule force était de continuer à tenir, ne pas plonger, avant l’arrivée potentielle des secours, dans ces moments où les gens recherchaient une lumière dans le noir le plus complet, elle arrivait. Rassurante. Constante. Naturelle. Simple. Prodigieuse. Elle apparaissait comme une ourse polaire pour aventuriers de la vie perdus, en recherche de repères, d’espoirs, d’appuis, de clins d’œil, de certitudes.

Elle était là. Leur montrait dans son sourire, la voie, avant de repartir vers chez elle.

Elle aimait le silence de son domicile, de son travail. Moins l’ambiance de taverne des transports, où s’entassaient des chercheurs d’or, qui insistaient pour raconter à la tranquillité l’envergure de leurs déboires. L’agressivité était partout, la boue les encerclait, les menaçait, pour si peu d’étincelles finalement à offrir à leurs mains travailleuses et leurs yeux fatigués.

Le bruit. Eviter à tout prix le bruit, se répétait la fille-étoile, qui tenait à préserver son sourire, sa tranquillité, sa présence et sa lumière. Ainsi, elle attendait le départ de tous les chercheurs d’or, qui embarquaient simultanément, en fin de journée, dans des véritables trains de l’enfer, qui s’en allaient lourdement comme s’échappait un Drakkar, délaissant un lieu brumeux et hostile, pour d’autres contrées fumeuses à l’issue tout aussi incertaine.

La fille-étoile patientait, se réfugiant à nouveau dans le noir, à écouter des gens qui étaient autorisés à parler, uniquement s’ils avaient parfaitement sélectionné les mots qui allaient sortir de leur bouche. Pendant une heure, elle écoutait et observait la magie peu à peu s’installer sur une toile neuve. Sur un arrière-plan parfaitement blanc d’écoute et de silence. La lumière qui jaillissait dans la salle, venait régulièrement se faufiler en elle, puis causer avec la réserve de beauté dans son corps, qui n’attendait que ça, de s’enrichir, dans un mouvement vaste et régulier, d’apprendre puis de donner.

La fille-étoile vécut des années, ainsi, dans la simplicité, la lumière, la tranquillité et le partage.

Jusqu’au jour où, de sa fenêtre, une personne l’appela. Fort. C’était une vieille chercheuse d’or. Une chercheuse d’or qu’elle connaissait très bien. Elle l’avait aidée, il y a des années, à s’acheter du silence, en lui offrant le gramme d’or qui lui manquait, pour survivre et s’éloigner du bruit.

La vieille chercheuse d’or l’appelait. Elle était vieille. Seule. Sourde. Elle souffrait. Souffrait. De la boue. Elle était encerclée de boue. Avec toujours moins de scintillant à offrir à ses mains travailleuses, qui maintenant tremblaient, et à ses yeux pratiquement qui ne voyaient plus.

La fille-étoile accourut. N’avait-elle pas l’habitude de venir briller pour tous les naufragés qui cherchaient à nouveau de l’espoir ?

Mais là, aussi incroyable que cela puisse paraître, la présence de la fille-étoile ne changea rien.  Strictement rien. La vieille chercheuse d’or criait ! Criait !

« De la boue ! De la boue ! Et si peu d’étincelles à offrir à mes doigts et mes yeux. »

La fille-étoile regroupa tout ce qui lui restait de force, d’optimisme et de malice, pour briller fort comme un soleil, alors que son âge lui conseillait de se limiter à l’apport de la lune.

Rien. Ce surplus d’énergie, de confiance, de lumière, ne changea rien. Strictement rien.

« De la boue ! De la boue ! Et si peu d’étincelles à offrir à mes doigts et mes yeux. »

La fille-étoile se sentait tourmentée. Ballotée. Entre la volonté de se préserver, de s’économiser, et le désir de loyauté de rendre à cette personne tout le bien qu’elle lui avait fait, en lui permettant, un jour, de s’exiler du bruit.

La fille-étoile sentait, de jour en jour, ses forces la quitter.

« De la boue ! De la boue ! Et si peu d’étincelles à offrir à mes doigts et mes yeux. »

La fille-étoile ne voyait plus d’issue à cette situation. Sa dignité lui demandait de tout arrêter. De tout abandonner. Sa loyauté, elle, n’écoutait pas, n’avait jamais le temps de causer, de se poser, toujours en mouvement qu’elle était, entre deux missions au service de l’ancienne chercheuse d’or.

Avant qu’il ne soit trop tard, la fille-étoile retira à la loyauté la liste qu’elle avait entre les mains, et lui demanda de l’écouter.

« Arrête. Regarde la dignité, à côté… Elle n’en peut plus. »

« Elle n’a pas de cœur. Elle oublie bien vite, j’ai l’impression… »

« Donc on tue une étoile, ce n’est pas grave ? »

« On ne tue rien du tout. On agit. On aide. On avance. Même si c’est dur. »

« Tu vas tenir ? »

« Je pense. Je n’en sais rien. C’est vrai que j’ai l’impression qu’elle ne se terminera jamais, cette liste. C’est l’hydre de Lerne, cette liste. Je raye une ligne, il en apparaît deux. D’un coup ! Mais bon… Je ne vais quand même pas abandonner. Faut que je continue. »

« Et si tu faisais les choses au rythme que te souffle la dignité ? Elle choisit le rythme ? La cadence ? Ce qui lui permet de respirer ? Comme ça, aucune étoile n’est tuée, et aucune chercheuse d’or généreuse n’est abandonnée, non plus ? Ça t’irait ? »

« Ok ! Ça me va ! On peut essayer ! »

A partir de ce jour, la fille-étoile se mit à aider l’ancienne chercheuse d’or, avec l’abnégation que lui indiquait sa loyauté, et le rythme agréable, souple, léger, que lui soufflait sa dignité. Certains jours, sa loyauté était encore plus attentive à sa liste, qu’aux exigences de sa dignité. La fille-étoile ne se formalisait pas avec ça. Elle était tout de même heureuse de constater, que bien souvent elle arrivait à bien faire discuter sa loyauté et sa dignité. Elle goûtait même au plaisir de briller, même si finalement les naufragés, tout autour, ne la regardaient pas. Ne la remerciaient pas pour la lumière qu’elle insufflait à nouveau dans leur vie.

Toutes les semaines, le même rituel se répétait. Sa loyauté posait des sacs sur la table de l’ancienne chercheuse d’or. Et sa dignité évaluait le niveau d’énergie qui lui restait dans son corps, pour rester ou partir. Toutes les semaines, le même rituel.

Là, elle venait d’ailleurs d’arriver chez l’ancienne chercheuse d’or. Elle posa les sacs sur la table. Cette dernière commença à lui parler du passé, des exploits des autres et de l’absence d’espoir à la surface de ses mains, et au loin, à l’horizon. La fille-étoile mesurait intérieurement le niveau d’énergie qui lui restait. Puis à un moment, elle regarda l’horloge et se prépara à partir. Là, en l’embrassant, en lui souhaitant bon retour, l’ancienne chercheuse d’or lui lâcha de manière anodine :

–    Merci pour ta présence. Ta gaîté. Ton énergie.

La fille-étoile repartit. Elle ne réfléchit même pas dans quelle catégorie finalement ranger cette journée.  C’était en fait la même journée qui se poursuivait maintenant depuis des années. Une journée, où elle était parfois, elle aussi, comme les autres, naufragée. Mais une journée, où elle essayait toujours, également, d’être sa propre étoile. Sa propre lumière.

Sous le regard de la lune, la fille-étoile marchait, dans le silence, direction chez elle. Direction une destination, qui vaut très cher… Loin du bruit.