SEMÉ D’EMBAUCHES

Elle pose son plateau
Cherche
dans son sac
sort son ordinateur
recherche dans son sac
Reprend son café
Prend un classeur
Prend une feuille dans
ce classeur
Reprend son café
Puis se lève puis
Revient.
Se met à taper sur le clavier de son ordinateur.
Prend son café,
le repose.
Se remet à taper sur le clavier de son ordinateur.

Assis,
à la table d’à côté,
il l’observe.
Une minute qu’elle vient
d’arriver,
et elle a déjà fait plus de gestes
que
lui,
en une heure
dans ce café.

Il l’observe.
Son visage est impassible.
Le modèle
Economique
A transformé
Tout le monde
En tornade de stress
Et plus personne
Ne se
rend compte
de rien.

Une fille arrive à sa hauteur.
Elle vient pour un entretien.
La femme la salue
Et lui explique le déroulé de l’entretien
avec un débit de paroles
qui avec l’expérience
vous fait dire
de partir
avant de travailler
avec une telle personne
qui a dû voir ses enfants
la dernière fois à 3 ans
et maintenant
ils en ont 12.

Elle lui demande de se présenter.
L’homme à la table d’à côté
Les écoute
et sourit.
La candidate a fait la même école que lui.
La même filière.
Là elle est diplômée
Et postule pour son premier CDI
En cabinet de conseil.

Il a envie de dire à cette fille
Férue d’art
De partir en courant
De ne pas rentrer
Dans cette machine
Qui vous mange
Vous digère
Puis vous recrache
Avec des cheveux
Blancs
Des cernes
Du gras sur le bide
Alors qu’à votre arrivée
Vous étiez beaux
Dynamiques
Optimistes
Rayonnants.

Elle rayonne
De
confiance.
Dit que la charge
De travail
Ne lui fait pas peur.
La femme lui dit
Qu’il faut souvent
Faire sa mission
Et des appels
D’offre en même temps.
Deux journées en une,
en quelque sorte,
Cela ne l’effraie
Pas.
elle parle de diversité
Des tâches.
De grande capacité
De travail.

La femme lui demande
de lui parler
de ses stages.
Quelles avaient été les
« KPI » ?
(Les indicateurs clés de performances) ?
Sur quelle réussite
avait-elle
Concrètement pesé ?

Dans le même temps,
derrière eux,
un homme en costume,
commence à saluer des gens
en anglais
au téléphone.
Il organise une conférence téléphonique
au milieu de ce café.
« Hi Tom ! Hi Suzanne ! Hey,
I’ve got good news
for you, John ! ».

Elles continuent,
De leur côté,
l’entretien, imperturbables.
La candidate explique son intérêt
pour le conseil.
Elle a envie
d’apprendre
à son âge.
D’avoir une « culture business »
plus large.
Là, il se dit
qu’elle marque des points.
« Avoir une culture business
Plus large ».
Même lui qui sait que c’est du vent
Après avoir passé tant d’années
Au milieu des éoliennes
Il se laisserait presque tenté
Par une mission
En sa compagnie, elle,
Ambitieuse,
Plus attirée par l’analytique
que l’opérationnel
désormais
et qui sait coordonner
de nombreux acteurs
de divers horizons
autour d’un même projet.

L’entretien se termine
par la résolution
d’un cas pratique.
Derrière,
John,
Prend connaissance
De toujours
Plus
De bonnes nouvelles.

Au milieu de toutes
ces discussions,
Lui sent qu’il est
à la fois,
La jeune pleine d’espoir,
La senior rongée
Par les années de travail,
L’homme
Qui parle
En anglais
qui assure dans sa mission,
et la personne qui fuit
cette réalité
qu’on ne cesse
de nous
proposer
et qui en fait
ne veut plus rien dire.

L’entretien se finit.
La femme se lève.
La candidate se lève.
Elles partent ensemble
Et il ne peut s’empêcher
De voir
une vierge
qui va se donner à un homme
sans sensibilité
qui l’utilisera
qui la jettera
en lui ayant dit
juste avant :
« je t’aime »

Elles disparaissent dans l’escalier.
Il regarde l’heure.
Dix minutes avant qu’il ne parte à son tour.
Derrière,
la conférence téléphonique se poursuit.

Se poursuit.